Bonjour,
Je propose ici d’analyser un traumatisme tel que le viol à partir du film intitulé “Maria”.
Je tenterai à partir de ce traumatisme d’élaborer plusieurs hypothèses sur les mécanismes de défense qui me semblent être opérés par le personnage Maria, victime de ce viol.
Le film “Maria” revient sur une tragédie qui s’est déroulée sur un plateau de tournage du film “Le dernier Tango à Paris” dans lequel elle jouait, aux côtés de Marlon Brando. Désormais décédée, l’actrice Maria Schneider avait déclaré à plusieurs reprises que la scène du viol par sodomie de son personnage avait été tournée à son insu. En effet ni son partenaire Marlon Brando, ni le réalisateur Bernardo Bertolucci ne l’avaient prévenue, et alors qu’elle ne figurait pas au scénario. Âgée de seulement 19 ans à l’époque, elle avait été prise de court, demeurant traumatisée pendant plusieurs années. Victime de cet abus de pouvoir autant que des violences psychologiques et sexuelles, la comédienne avait sombré dans une dépression sévère, tandis que le cinéaste assumait son choix en toute impunité des années plus tard. En 2013, Bernardo Bertolucci confirmait que la comédienne n’avait pas donné son consentement et que sa réaction était authentique, affirmant sans remords qu’il voulait qu’elle réagisse « en tant que fille, pas en tant qu’actrice. Je ne voulais pas que Maria joue sa rage et son humiliation, je voulais qu’elle ressente la rage et l’humiliation », avait-il déclaré sans mesurer la portée de ses actes.
Dans le film “Maria”, il est question de l’addiction de Maria, à l’héroïne.
Ce qui fait traumatisme pour l’actrice Maria Schneider, est la scène du viol appelée aussi “la scène du beurre” dans “Le dernier Tango à Paris” ; Maria est confrontée à la célébrité et au scandale suscités par le film ainsi qu’à l’opprobre de personnes anonymes. Elle commence à n’être sollicitée que pour des films où elle devrait tourner nue, ce qu’elle refuse.
Dans la fin des années 1970, elle tombe dans l’addiction à la drogue ; à l’héroïne, et à l’alcool. Elle échoue à tourner avec Buñuel et fait des séjours à l’hôpital. Noor, une jeune étudiante qui la sollicite pour un mémoire universitaire, devient sa compagne mais leur relation est de plus en plus altérée par les addictions de Maria, même si elle suit des traitements de désintoxication. Maria retrouvera une certaine sérénité en même temps qu’une reconnaissance critique lors de sa collaboration avec le cinéaste français Jacques Rivette, en 1981-1982.
Quels étaient les éventuels mécanismes de défense opérés par Maria Schneider face au traumatisme du viol ? Maria Schneider développe une addiction à l’héroïne et à l’alcool. Dans quelles mesures, la consommation de substances psychotropes telles que l’héroïne ou la consommation d’alcool de manière chronique, l’alcoolisme, sont-elles des mécanismes de défense pour faire face au traumatisme vécu par la victime ? ou sont-elles plutôt des conséquences qui découlent des mécanismes de défense déjà en place par la victime du traumatisme ?
Si l’on reprend la liste des mécanismes de défense tirés de l’ouvrage : “Les mécanismes de défense, théorie et clinique”, la consommation de substances psychotropes telles que l’héroïne ou l’alcoolisme ne figurent pas dans cette liste.
Mon hypothèse serait que l’un des mécanismes de défense appelé “le retournement contre soi” est opéré lorsque la personne devient addict à une drogue, à la suite du vécu d’un traumatisme.
Rappelons à cet effet, l’usage des mécanismes de défense :
- remaniement des réalités internes et externes
- obscurcissement temporaire de la réalité par des pensées, des sentiments, des comportements
- exercer une fonction de dissimulation
- médiateurs de la réaction du sujet aux conflits émotionnels et aux facteurs de stress internes et externes
La consommation de drogue est une manière pour la victime du traumatisme de viol, d’obscurssir temporairement la réalité par des comportements à risque pour sa santé et sa vie, afin de “neutraliser” les conflits émotionnels et intrapsychiques liés au viol.
La drogue n’est pas considérée comme un mécanisme de défense en psychologie comme nous l’expliquons plus haut. Les mécanismes de défense sont des stratégies psychologiques inconscientes que les individus utilisent pour se protéger de l’anxiété et des émotions négatives.
Cependant, l’usage de drogues peut parfois être une tentative consciente ou inconsciente de gérer ou d’échapper à des émotions difficiles ou à des situations stressantes. Cela peut être vu comme une forme de coping, mais ce n’est pas un mécanisme de défense au sens strict du terme.
La consommation de drogue et d’alcool en conséquence d’un traumatisme tel que le viol serait une conséquence du mécanisme de défense “retournement contre soi-même”. La définition du mécanisme de défense “retournement contre soi-même” est la suivante : refus inconscient par un sujet, de sa propre agressivité, qu’il détourne d’autrui pour la reporter sur lui-même. Ce mécanisme de défense peut être à la source de sentiments de culpabilité, d’un besoin de punition, d’une névrose d’échec, de tentatives d’autodestruction.
L’addiction à l’héroïne pour Maria serait une tentative d’autodestruction.
Freud a évoqué pour la première fois, la notion de retournement contre soi-même, dans “Pulsions et destins des pulsions” (1915a/1968) Il s’agit toujours de la pulsion de destruction tournée vers l’intérieur, “qui fait rage contre le propre soi.” (1924b,/1974).
Nous pouvons faire l’hypothèse qu’il était impossible pour Maria de diriger sa haine envers ces agresseurs voire même à l’époque des faits (1972) de transformer sa haine en déposant plainte contre ses agresseurs ce qui aurait permis l’ouverture d’une enquête judiciaire et l’aboutissement à un procès à l’encontre de ces agresseurs. En 1972, le mouvement MeToo était encore loin ! Néanmoins ce qui est à souligner c’est le courage de Maria de sortir du silence face à l’agression sexuelle qu’elle a subi et son choix, ensuite, de refuser toutes les propositions cinématographiques dans lesquelles il était question qu’elle joue dénudée.
Autres hypothèses :
Maria ressentait un fort sentiment de culpabilité, car elle n’avait pas réagit et fait stopper le tournage du viol qu’elle a subi par ses agresseurs, lors du film “Le dernier Tango à Paris”.
Nous pouvons imaginer qu’elle était dans un état de sidération, de choc émotionnel car la scène du viol n’était pas prévue dans le script initial. Cette scène était, par ailleurs, prévue par le réalisateur puisqu’il dira par la suite qu’il voulait qu’elle réagisse « en tant que fille, pas en tant qu’actrice. Je ne voulais pas que Maria joue sa rage et son humiliation, je voulais qu’elle ressente la rage et l’humiliation.”
Maria dirige cette haine, cette rage envers elle-même en se détruisant à petit feu avec sa consommation quotidienne d’héroïne et avec sa dépression. Maria Schneider meurt à l’âge de 58 ans.
Anne-Marie Clémençon
Psychopraticienne